Michel Boujenah adapte le roman Le cœur en braille pour nous proposer une comédie dramatique. Il nous explique à travers cette interview le travail d’écriture et les aléas du casting pour trouver les deux personnages principaux.
QU’EST-CE QUI VOUS A SÉDUIT ET ÉMU DANS LE LIVRE DE PASCAL RUTER ?
Quand j’ai reçu ce livre, j’étais à un moment de ma vie où j’avais écrit trois scénarios qui avaient tous fini à la poubelle : je me demandais sérieusement pourquoi continuer à faire du cinéma alors que je suis si bien sur scène. Mais le livre comportait un petit mot : « Pascal Elbé pense qu’il devrait vous intéresser ». Je me suis donc décidé à le lire et j’ai été cueilli. D’abord parce que, tout simplement, c’est une très belle histoire. Or, pour moi, un film, c’est avant tout une histoire capable de toucher le grand public et mon rêve, c’est de faire du cinéma populaire dans le plus beau sens du terme. Ensuite, parce que les enfants sont les protagonistes de cette histoire et qu’ils jouent un grand rôle dans ma vie – à commencer par l’enfant en moi que je ne veux pas voir disparaître. J’ai travaillé pendant huit ans avec des enfants : ils m’ont énormément appris et ont été, sans le savoir, l’élément déclencheur qui m’a permis de trouver ma place et d’écrire mon premier spectacle solo. Enfin, j’ai été frappé par la métaphore de la cécité. Car, lorsqu’on a une vraie passion – comme cette jeune violoncelliste –, on peut perdre la vue et devenir aveugle.
COMMENT S’EST PASSÉE L’ÉCRITURE ?
J’ai coécrit avec Alfred Lot que je connaissais déjà. Il avait failli travailler comme directeur de production sur TROIS AMIS et on s’est retrouvés parce qu’on emmenait nos enfants à la même école. On s’est donc mis à adapter le livre et cela est allé très vite. Car quand je sais ce que je veux faire, je suis très rapide : dans l’action, je suis très vif. C’est dans la réflexion que je suis lent.
CE SONT DES ENFANTS QUI FONT PENSER À DE PETITS ADULTES …
Absolument ! C’est une histoire d’amour de grands vécue par des enfants avec les mêmes mécanismes que ceux des adultes. Car on aime aussi profondément quel que soit son âge et on peut apprendre de l’autre quel que soit son âge. Marie est suffisamment forte pour démolir son père au fur et à mesure qu’avance le film jusqu’au moment où il craque et rend les armes. Quant à Victor, il est le père de son père ! Même quand ils organisent leur cérémonie d’enterrement, c’est Victor qui met le dernier sac dans la benne et « ferme la tombe ». Et c’est la première fois que le père touche son fils : c’est rare un père qui ne touche jamais son fils à 12 ans. Cette fois, il le prend vraiment dans ses bras. Mais c’est Victor qui oblige son père à lui dire la vérité sur la mort de la mère.
COMMENT AVEZ-VOUS CHOISI LES ENFANTS ?
J’ai rencontré Alix Vaillot en février alors qu’on tournait à l’été. Elle avait ce sourire et cette énergie naturelle et c’était une formidable violoniste. Elle m’a joué La liste de Schindler avec une véritable émotion : je tenais une musicienne. Et je ne pouvais pas faire le film sans une musicienne. C’est quoi, une musicienne ? Quelqu’un qui a une relation à la musique qu’on ne peut expliquer. Quelqu’un qui a le sens du travail, la discipline, la volonté de tout sacrifier pour atteindre son but, et le sens du rythme. D’ailleurs, je lui parlais du rythme du film par métaphores musicales. Les vrais musiciens, également comédiens, sont incroyablement intelligents au niveau du rythme. Je l’ai choisie comme ça. Et quand elle est arrivée à l’audition, elle connaissait le scénario par cœur et elle connaissait le rôle par cœur.
ALIX EST VIOLONISTE AU DÉPART, PAS VIOLONCELLISTE…
C’était un problème, d’autant que je souhaitais qu’elle joue le concerto pour hautbois d’Alessandro Marcello, transposé au clavecin par Bach et au violoncelle par Rostropovitch. Je ne voulais pas prendre la première étude de Bach pour violoncelle. Mon problème, c’est qu’Alix n’est pas violoncelliste. Du coup, elle a travaillé pendant plus de soixante heures ! Elle a fait un boulot de dingue. Pendant le tournage, elle continuait à jouer du violon au moment même où elle s’entraînait au violoncelle et elle a même passé un concours à Malte !
ET L’INTERPRÈTE DE VICTOR ?
Alors que j’avais pratiquement choisi un petit garçon, ma directrice de casting m’a conseillé de rencontrer Jean-Stan Du Pac. Au bout de quatre secondes, j’ai su que c’était lui. C’était d’une évidence absolue et je n’ai même pas eu besoin de le voir à l’image. Il est venu faire des lectures avec moi mais j’étais déjà convaincu. Pour moi, ce petit garçon, c’est Belmondo ! Jusqu’au moment où je disais « Action », il blaguait. Mais dès qu’on tournait, c’était une vraie star.
VOUS N’AVEZ PAS EU DE MAL À LES DIRIGER ?
Pas du tout. La plupart du temps, je faisais deux ou trois prises et c’était parfait. Lorsqu’Alix avait un souci de compréhension, elle me demandait de lui raconter l’histoire. Je me mettais à genoux et je lui racontais l’histoire à l’oreille. À l’inverse, Jean-Stan me disait « joue la scène pour moi », je le faisais, il m’indiquait qu’il avait compris et il la réinterprétait à sa manière. Je souhaite à tous les réalisateurs d’avoir un acteur comme lui : disponible, joyeux, drôle. D’autant plus que c’était une période difficile pour lui : outre le collège, il a eu 105 jours de tournage l’année du CŒUR EN BRAILLE ! Mais je ne crois pas que la capacité à jouer soit liée à l’âge : Jean-Stan a ça en lui. C’est un acteur né.
COMMENT TROUVE-T-ON LA BONNE DISTANCE AVEC LES ADOLESCENTS COMME VOUS LE FAITES ?
Je pense que c’est instinctif et c’est exactement ce que je recherche. Quand je travaille avec des enfants, je suis contre tout ce qui est intrusif. Je n’aime pas le psychodrame. Je pense que ce qui est privé doit le rester. Autrement dit, par exemple, si je demande à un enfant de faire une impro, il ne doit pas révéler son prénom ou son âge et je ne veux rien savoir de sa vie personnelle. Le seul critère, c’est le plaisir qu’on a à le regarder. De même, je ne conseille jamais à mes jeunes acteurs de se souvenir d’un événement triste pour pleurer.
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