Pierre Coré, le réalisateur de L’Aventure des Marguerite, raconte les coulisses de l’adaptation du livre et quelques anecdotes de tournage.
Comment passe-t-on du livre pour enfants et de l’animation à un long-métrage en prises de vues réelles ?
La question est plutôt l’inverse. Car avant de « tomber » dans l’animation, mon envie première était de faire du cinéma « live ». J’avais déjà réalisé quatre courts-métrages et me dirigeais assez naturellement vers mon premier long-métrage. Mais ce métier est fait de rencontres et grâce à des amis qui montaient un studio d’animation, j’ai découvert cet univers passionnant du « dessin animé ». Petit à petit, nous avons réussi à monter SAHARA. Mon premier film est donc un film d’animation avec des serpents et des scorpions. L’expérience était géniale et j’ai beaucoup appris à le faire. Mais j’étais toujours résolu à faire un film « live ». Pour plus de cohérence, il m’apparaissait important de rester dans un univers de film familial. On doit toujours rassurer quelqu’un…
Comment avez-vous eu l’idée de transposer le livre de Robin et Vincent Cuvellier ?
C’est ma sœur qui me l’a fait découvrir : « C’est un livre poétique, très charmant, avec de nombreux thèmes qui peuvent t’intéresser », m’a-t-elle dit. En effet, c’est une BD pleine d’idées, et très astucieuse en mise en page avec deux bandeaux parallèles, l’un situé en 1910, l’autre en 2010, chacun pouvant se lire indépendamment. Et cette BD a répondu à mon désir de raconter des histoires s’adressant aux enfants et aux familles. L’histoire était parfaite : les héros étaient des enfants, l’intrigue brassait les époques et évoquait les rapports avec les parents et les grands-parents. Réaliser L’AVENTURE DES MARGUERITE, c’était donc le plaisir de faire une comédie où le spectateur serait surpris par les ruptures de tons et par des visions pleines d’anachronismes, et faire de mes héroïnes de petites anthropologues plongées dans les us et coutumes d’une époque qui ne serait pas la leur. C’était enfin aborder en filigrane des thèmes qui me sont chers comme la mémoire et la transmission, le statut de la femme et surtout la figure paternelle. Questionner le rôle du père, héros faillible ou pilier, sa présence physique, son apport psychoaffectif et ses postures m’intéressait.
L’écriture a-t-elle été une étape heureuse ?
L’écriture, c’est fait de hauts et de bas. On peut être euphorique un jour et assez déçu le lendemain de sa production. J’ai travaillé avec Alexandre Coffre, un ami scénariste et réalisateur, pour m’aider à bâtir le traitement. Le plus costaud a été de construire la chronologie, en établissant une correspondance entre les jours des deux époques. Cette chronologie est essentielle : elle est la colonne vertébrale du récit et il a fallu tout inventer pour tenter d’en faire un film d’aventure trépidant. Nous voulions que, dès le scénario, l’énergie qui sous-tend la structure soit perceptible : la bascule d’une époque à l’autre se fait toujours au climax d’une scène laissant le spectateur haletant à vouloir connaître la suite. Un montage alterné est en soi source de suspense, mais l’aventure est aussi dans le compte à rebours infligé à nos deux innocentes : ni l’une ni l’autre ne comprend ce qui lui arrive. Elles doivent lutter pour accomplir ce qu’elles devinent ou espèrent être leur mission. Le séquencier abouti, il a fallu rendre tout ça drôle et organique. J’avais déjà collaboré avec Stéphane Kazandjian sur SAHARA. C’est un auteur bourré d’humour. Je riais tout seul en lisant ses propositions de dialogues. Pour répondre à votre question, écrire un scénario avec lui, oui, c’est une étape heureuse.
Il y a une évidente dimension de conte, un peu à la « Alice au pays des merveilles« , où l’on passe d’un univers à l’autre …
En effet, il y a beaucoup de références au conte dans le film. On parle quand même de malle magique et de voyage dans le temps, forcément ça invoque quelque chose de la fable. J’ai donc glissé plein de petits indices : j’ai choisi des bergers allemands tout noirs pour évoquer l’image du loup, le père se nomme Louis Cayrollesen hommage à Lewis Carroll, la tante s’appelle Alice forcément, et je m’amuse à filmer Marguerite à travers un miroir. Au cours de leur aventure, les personnages se rendent à Hauze (en clin d’œil à Victor Fleming), ils vont d’ailleurs croiser une sorcière penchée sur son chaudron, et même faire « fondre » le méchant du film…
Pourquoi avoir choisi l’époque de la Seconde Guerre mondiale et non de la Belle Époque comme dans le livre ?
La bande dessinée de Vincent s’articule autour de deux promenades, dans deux capsules-temps. Il y a des rencontres et des confrontations de point de vue mais il n’y a pas vraiment d’affrontement. Un scénario de film d’aventure nécessite des antagonistes et davantage de dramaturgie. Je trouvais également joli l’idée que Marguerite puisse croiser dans son périple des personnes de sa génération. La rencontre avec sa tante encore vivante amène une scène pleine d’émotion et un paradoxe spatio-temporel assez réjouissant, je pense. J’ai donc déplacé le récit à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Cette période de guerre nous procure nécessairement des ennemis, des frontières, des obstacles à franchir et des circulations compliquées entre Zone occupée et Zone libre… Margot, petite fille du XXIème siècle, vit pour la première fois la réalité d’un conflit sur le sol français.
Comment avez-vous imaginé le double personnage de Marguerite/ Margot ?
Ce sont deux personnages différents mais avec plusieurs traits de caractère communs. Elles n’ont pas les mêmes codes et pourtant ce sont des jeunes filles fortes, intrépides, volontaires. J’aime qu’elles soient à la frontière entre l’enfance et l’adolescence : plus tout à fait chrysalide, mais pas encore papillon. Lila, notre jeune comédienne, a encore quelque chose de puéril et d’innocent mais on devine déjà dans une moue ou un regard une certaine dose de dureté, de morgue et de cynisme propres à l’adolescence. Je souhaitais la placer dans un univers enfantin, émerveillé, innocent et jouer sur ces curseurs. Avec Marguerite, elle incarne une enfant qui s’émancipe et permet à d’autres de grandir à son contact comme Laurent ou Nathan, mais avec le versant Margot, elle peut laisser libre cours à sa révolte et à sa colère et permet à tante Alice de s’émanciper et de se transformer en femme fougueuse, abandonnant son corset pour devenir indépendante.
À leurs côtés, les adultes, campés par Clovis Cornillac et Alice Pol, sont deux grands enfants.
Par principe de comédie, je voulais des adultes qui soient malmenés et otages de la fougue des héroïnes pour faire bouger leurs certitudes et leur permettre de grandir. Les quiproquos n’en sont que plus savoureux. Tante Alice est une fille à papa, un peu sous cloche, qui, grâce à cette enfant du futur sortira de sa bulle. Laurent est dans la tendance de certains adultes d’aujourd’hui qui ne veulent pas vieillir donc grandir. Ça fait de lui un grand garçon attardé, en t-shirt et sweat à capuche, essayant de copiner avec les enfants. Cela me permettait d’interroger le rôle du père et d’apporter une réflexion sur la posture du « père copain » très actuelle. Au cours du récit, les personnages se dépouillent au fur et à mesure. Tout en abandonnant l’armure censée les protéger, ils utilisent le masque de la confusion – notamment les deux jeunes filles – pour dire sans pudeur ce qu’ils attendent les uns des autres. Ce jeu de rôles est une grande thérapie familiale en fait…
Le film propose une très jolie réflexion sur la mémoire et le passé familial.
Même si le premier destinataire de L’AVENTURE DES MARGUERITE est l’enfant, je voulais que celui qui l’accompagne pour voir le film trouve également du plaisir et une élégance d’écriture. J’ai eu envie de parler de la transmission entre générations et évoquer la vie de nos grands-parents, leur enfance, leurs difficultés et leurs bonheurs. Ce serait formidable qu’à la fin du film, il y ait des échanges entre générations, des « Comment c’était quand t’étais jeune ? ». On n’interroge jamais assez nos aïeux sur leur passé.
Comment s’est passé le casting ? Avez-vous eu du mal à trouver votre Marguerite/Margot ?
Sylvie Brocheré est une directrice de casting spécialiste du casting d’enfants. Nous avons rencontré beaucoup de garçons et de filles pour Nathan et Margot. Sylvie avait déjà repéré Lila parmi cinq ou six jeunes actrices et j’ai été immédiatement séduit par son allure vintage, ce quelque chose d’intense qu’elle a au-delà de la comédie pure. Nous l’avons presque trouvée trop tôt et nous nous sommes contraints à voir une soixantaine de jeunes filles pour revenir naturellement à Lila : c’était une belle rencontre. Elle est de tous les plans et a passé les huit semaines entières de tournage avec nous. Amour, sa coach, nous a beaucoup aidés et lui a permis de s’approprier les personnages et de passer dans une même journée d’une époque à l’autre, et donc d’une identité à l’autre. Elle a été exemplaire, courageuse, attentive, et a même fait des propositions. C’était intéressant de la voir se confronter à des acteurs professionnels comme Alice et Clovis. Je me souviens des premières séquences où toute l’équipe était réunie et où elle devait débarquer en robe de chambre et fondre en larmes : j’ai été bluffé et je me suis dit que nous tenions là une vraie actrice !
Comment avez-vous travaillé la lumière pour bien différencier les deux époques ?
Nous avons tourné en numérique car c’était plus facile avec une très jeune comédienne. Mais comme je ne voulais pas avoir une image trop marquée digitale, Jean-Paul Agostini, le chef opérateur a utilisé des optiques anciennes qui amènent du grain, du flou et qui patinent le tout. Nous ne souhaitions pas un traitement d’étalonnage particulier pour chaque époque et pour les distinguer, nous avons choisi de mettre l’accent sur les décors et les costumes. En fait, les époques se mélangeant avec les personnages qui passent de l’une à l’autre, il paraissait illogique de les différencier totalement. Comme nous sommes dans le conte, nous nous sommes autorisés des lumières surnaturelles, sans forcément de raccord entre deux scènes, entre un extérieur et un intérieur. Jean-Paul a créé des lumières irréelles, fantastiques, en pleine nuit dans les forêts vosgiennes. Avec ma chef costumière et mon chef déco, nous voulions que 1942 reste vibrante et vivante, et que les acteurs soient à l’aise dans leurs costumes et sans crainte de les salir.
Et la musique ?
Jérôme Rebotier, avec lequel j’avais travaillé sur SAHARA, est un compositeur capable de faire des choses délicates et intimistes sans avoir peur d’aller sur des formations symphoniques et des percussions pour transcrire des péripéties et des scènes d’aventure. Pour l’avoir expérimenté sur mon film d’animation, j’avais trouvé que sa grammaire fonctionnait parfaitement pour le road-movie. Sans avoir le budget d’une grosse production, Jérôme a été très ingénieux pour donner du souffle aux scènes d’action. Nous avons retenu trois thèmes qui se répondent : le thème de Marguerite quand elle pense à son père, ce qui installe des moments d’émotion et de mémoire, ou de reprise de souffle, le thème du père, et le thème de Margot, plus guerrier, plus volontaire, davantage inscrit dans une forme d’urgence. La B.O. alterne ainsi des thèmes lyriques et des moments plus minimalistes.
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