Le réalisateur du film d’animation Jack et la mécanique du cœur, livre en détail les différentes étapes de création et évoque avec émotion sa collaboration avec les doubleurs du film, de Olivia Ruiz à Jean Rochefort.
UN PROJET PERSONNEL
« Après avoir écrit Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi, j’ai voulu conserver le personnage de GIANT JACK. Je me suis penché sur ses origines et j’ai imaginé qu’il pourrait être né en Écosse le jour le plus froid du monde, si bien que son cœur aurait gelé. Ce personnage avait une horloge dépassant de sa poitrine et souffrait d’une fragilité : il ne pouvait pas tomber amoureux. Il avait été sauvé mais il lui était impossible d’éprouver des sensations fortes. C’est l’histoire de Jack. C’est ce qui m’a permis d’aborder tout ce dont je voulais parler dans le livre, à savoir la passion amoureuse et le rapport à la différence ».
UN RÊVE DE CINÉMA
« J’ai écrit le bouquin, j’ai composé les chansons en ayant à l’esprit d’en faire un film par la suite mais sans aucune certitude. Quand j’ai choisi les voix pour incarner les personnages sur le disque, je me rêvais déjà réalisateur : Rochefort en Méliès, Rossyde Palma en Luna, Arthur H en SDF le plus alcoolique de la ville, sauvé le jour le plus froid du monde car il a trop bu… Ces idées-là germaient déjà dans ma tête au moment de l’écriture. J’aime bien passer d’un moyen d’expression à un autre et je trouvais génial d’aller explorer l’univers du cinéma avec cette matière en tête. J’ai alors eu la chance incroyable de rencontrer Luc et Virginie Besson qui m’ont aidé à développer ce projet ».
RENCONTRE MAGIQUE
« On s’est rencontrés sur le plateau du Grand Journal. Ça a été un joli hasard de calendrier et d’étoiles bien alignées… J’ai parlé de mon fantasme de cinéma et Luc m’a demandé ‘Tu veux vraiment en faire un film ?’ Et je lui répondu : ‘J’adorerais ! Mon rêve, c’est de faire un film d’animation à partir de mes chansons et de mon livre, parce que j’aimerais utiliser le côté poétique de l’animation’. Je voulais créer des personnages qui soient de vrais petits bijoux, comme des jouets cassés extrêmement touchants, capables de susciter une émotion profondément humaine : l’idée a plu à Luc et Virginie. Nos échanges ont été très naturels : on était vraiment dans l’élan et la magie du possible créatif. Rien n’était formaté et on ne s’est pas dit ‘ C’est pour les enfants ou c’est pour un public adulte’. On voulait simplement raconter une histoire en espérant qu’elle plaise au plus grand nombre. À cette époque-là, j’étais en tournée avec ‘La Mécanique’ – je jouais les chansons toute la semaine, sauf le lundi où je me retrouvais à travailler le scénario avec Luc et Virginie et à leur montrer les premiers visuels. On a validé le script en quelques mois de façon extrêmement simple, alors que cela représentait tout de même un très gros projet ».
UN JOLI DÉFI ARTISTIQUE
« En matière d’écriture scénaristique, j’ai écouté les conseils qu’on a pu me prodiguer : je n’avais pas beaucoup de recul par rapport à cette histoire personnelle, dont je connaissais très bien les personnages. Quand on a parlé de l’adaptation, le défi était de restituer l’esprit du livre et du disque en un film. J’étais très excité par ce projet mais je me suis rendu compte que pour rester fidèle à l’ambiance du livre et du disque, j’étais obligé d’emprunter d’autres chemins. Et puis, j’étais contraint de prendre des décisions car Luc m’avait prévenu que mon livre adapté tel quel correspondait à 5 h de film et qu’il fallait donc hiérarchiser les personnages et les intrigues secondaires. J’ai ressenti quelque chose de très étrange : en tant qu’auteur du livre et des chansons, je portais mes protagonistes en moi, qui avaient donc une résonance affective, mais je me retrouvais obligé de faire des choix et des coupes, ce qui n’était pas toujours évident. Heureusement, Luc était présent pour me guider, en jouant le rôle d’un accompagnant bienveillant. J’ai adoré ce travail d’adaptation car je suis un conteur d’histoires. Finalement, être sur scène, c’est aussi une façon de raconter des histoires ».
UNE EXPÉRIENCE INÉDITE
« Dans le studio d’animation, je me sentais un peu comme un pilote de Boeing 747 face à son tableau de bord : je pouvais activer différents leviers pour changer la couleur des cheveux des personnages, modifier la texture d’un sol ou d’un canapé, rajouter des cordes à une guitare, etc. Cette étape n’était pas évidente pour moi car je devais à la fois garder ma fraîcheur émotionnelle et me pencher aussi sur l’aspect technique, en veillant à ce qu’elle ne prenne jamais le pas sur la fiction. C’est une mission quotidienne, où l’on en apprend chaque jour davantage non seulement sur la technique mais surtout sur les relations de travail avec l’équipe : il m’a fallu apprendre à collaborer avec une équipe si nombreuse que je ne connaissais même pas le prénom de chacun ! En général, j’aime me laisser aller à l’improvisation et travailler à l’instinct, et si je ne procède pas ainsi, j’ai le sentiment que le résultat n’est pas abouti mais il fallait bien que les différentes tâches soient organisées et structurées. J’ai eu la chance d’être incroyablement bien accompagné par Luc et Virginie, mon coréalisateur Stéphane Berla, l’illustratrice Nicoletta Ceccoli, et par le directeur de production Jean-Baptiste Lère. Sans parler de notre formidable équipe de graphistes. Je dois dire que c’est magique de se retrouver dans un open space avec 120 personnes qui essaient toutes de prêter vie aux personnages dont on a rêvé… »

JACK ET MISS ACACIA
« Jack est né le jour le plus froid du monde. Son cœur, qui était gelé à sa naissance, a été remplacé par une horloge si bien qu’il va pouvoir continuer à vivre s’il respecte les trois règles fondamentales : ne pas toucher ses aiguilles, ne pas ressentir d’émotions fortes et ne pas tomber amoureux. Pour moi, ce personnage était le meilleur vecteur pour aborder non seulement la passion amoureuse et le rapport à la différence mais aussi les risques que l’on accepte de prendre – ou pas –, la façon dont on devient adulte et ce qu’on est prêt à sacrifier pour ses rêves. À côté de ce personnage principal, il y a Miss Acacia, dont Jack tombe amoureux. Elle a, elle aussi, ses propres failles. À commencer par sa myopie qui fait qu’elle ne voit quasiment rien. C’est aussi une jeune fille qui a du mal à accorder sa confiance à cause d’une expérience douloureuse avec ses parents. Si elle se prénomme Miss Acacia, c’est parce que, quand elle a très peur, des épines d’acacia poussent sur son corps. Jack et Miss Acacia, ce sont donc deux handicapés de l’amour qui se rencontrent… »
OLIVIA RUIZ : COMME UNE ÉVIDENCE
« Olivia Ruiz prête sa voix à Miss Acacia : c’était une évidence émotionnelle et de jeu. Ce personnage n’existerait pas sans Olivia : je ne pouvais pas imaginer une seule seconde quelqu’un d’autre à sa place, si bien qu’on a aussi choisi des chansons de son répertoire, notamment quand elle chante en espagnol. J’aime le côté brûlé de sa voix, à la fois sucré et enfantin, son tempérament méditerranéen assez fort et en même temps très doux qui modèle le personnage. J’ai écrit ce personnage de Miss Acacia comme un reflet magique d’Olivia, sans prétendre au réalisme car j’avais envie de faire de l’animation et donc de styliser et de poétiser les traits ».
JEAN ROCHEFORT OU LES MOUSTACHES DE GEORGES MÉLIÈS
« J’ai toujours eu une grande tendresse pour Jean Rochefort. Depuis longtemps, je suis ému par le son de sa voix, son attitude, et son flegme. Sans l’avoir rencontré, je le trouvais déjà formidable. Je lui ai donc proposé le rôle de George Méliès. Il y avait une certaine ressemblance entre les deux : je ne saurais dire si c’est la moustache, le côté inventeur à la fois un peu dépressif mais aussi très ludique ou encore la capacité d’émerveillement toujours intacte indépendamment de l’âge. Jean Rochefort est un homme extraordinaire et très juste dans son jeu. Travailler avec un comédien comme lui, c’est un luxe absolu ! »
ALAIN BASHUNG, DU FANTASME À LA RÉALITÉ
« J’avais le fantasme de confier le rôle de Jack l’Éventreur à Alain Bashung qui, malheureusement, n’est plus là. Par chance, on avait sa chanson, enregistrée à l’époque de l’album. Comme on n’avait aucune envie de le remplacer, on s’est dit qu’il avait pu évoluer en une sorte de double maléfique du personnage, si bien qu’on pouvait se passer de dialogue : il incarne les peurs primales du protagoniste et intervient dans l’histoire comme s’il s’agissait d’une comédie musicale horrifique. C’est ce qui nous a permis de conserver la voix d’Alain ! J’en étais d’autant plus heureux qu’il s’était totalement investi dans le projet : au départ, il avait même tenté de reprendre mon phrasé en s’effaçant complètement et en faisant preuve d’une humilité absolue. Finalement, je lui ai demandé de garder sa propre voix. Quand il m’a proposé d’intégrer des chœurs à la fin de sa chanson, j’ai accepté bien volontiers – et on les retrouve dans le film ».
DANI À CONTRE-EMPLOI
« Pour Brigitte, la patronne du train fantôme, je voulais une voix de fumeuse, mi-effrayante, mi-comique. Comme Grand Corps Malade, Dani est tellement gentille qu’il a fallu qu’on la provoque pour obtenir un peu d’agressivité de sa part ! Il faut dire qu’à force de lui demander de recommencer, elle a fini par être un brin agacée et on a eu ce qu’on voulait. D’ailleurs, je dois dire que, même si on disposait d’un visuel, Brigitte est l’un des personnages pour lesquels les animateurs se sont le plus appuyés sur la voix pour la caractériser».
NICOLETTA CECCOLI : POÉSIE ET ÉMOTION
« Stéphane, Virginie, Luc et moi sommes tous tombés immédiatement d’accord sur le choix de l’illustratrice : on voulait Nicoletta Ceccoli qui avait illustré le livre. Le fait qu’on soit tous du même avis a simplifié nos relations de travail en amenant beaucoup de sincérité et de spontanéité, d’autant plus que Nicoletta était constamment force de propositions. L’étape la plus compliquée a consisté à passer des visuels de Nicoletta à la 3D car il fallait être attentif à ne pas perdre l’aspect poétique et à restituer l’émotion des graphismes en 2D. Par exemple, Nicoletta a dessiné des personnages de trois-quarts qui sont très beaux dans cette position, avec leurs yeux écarquillés, leur petit nez et leur jolie bouche or il fallait qu’ils chantent, et réaliser leurs mimiques dans cette position s’avérait extrêmement compliqué sur le plan technique. Au final, même si on m’a parfois dit que ces personnages n’étaient pas faits pour la 3D, je me suis bagarré et on a fini par y arriver !».
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