10 ans après son passage à la télé, « Titeuf » passe au cinéma

Image extraite du film Titeuf
© 2011 / MOONSCOOP – PATHÉ PRODUCTION – FRANCE 3 CINEMA – POINTPROD SA – RTS RADIO TELEVISION SUISSE

Rencontre avec ZEP, le réalisateur de la bande dessinée et de la série Titeuf, qui revient pour une aventure sur grand écran !

Pouvez-vous nous rappeler comment et quand est né le personnage de Titeuf ?

C’était en 1992. J’avais déjà signé deux albums et collaborais alors pour divers magazines. Mais mes projets étaient alors refusés un peu partout. J’essayais pourtant de coller un peu à la demande éditoriale – des polars, des histoires de pirates, de l’érotisme… – mais je me rendais compte que ce que je proposais n’était guère intéressant. Ni pour moi, ni pour ceux auxquels mon travail était destiné. Un jour, j’ai donc décidé de m’acheter un grand cahier blanc et d’y coucher mes souvenirs d’enfance. Au départ, je me suis lancé dans l’idée de retrouver l’âge auquel je m’étais promis de faire de la bande dessinée quand je serai grand… (rires) Et j’ai donc commencé à dessiner une sorte de journal intime sur mon quartier, mon école et mes copains de l’époque… Puis au moment de me représenter en dessin, j’ai repensé à ce petit bonhomme avec une mèche sur la tête, que j’avais imaginé quelque temps auparavant pour un autre projet. Et je l’ai tout bêtement appelé Titeuf parce qu’il avait une mèche en forme d’œuf. Dans cet exercice, je n’avais absolument aucune contrainte éditoriale car je pensais que personne ne voudrait le publier. J’ai donc raconté très librement des choses qui me semblaient être le ton juste de l’enfance. Mais, après quelques pages, j’ai senti que tout cela était bien plus intéressant que les précédents projets sur lesquels j’avais travaillé. Je suis donc allé proposer mes dessins à différents journaux et aux éditeurs avec lesquels j’avais l’habitude de travailler. Mais personne n’en a voulu car ça ne rentrait pas dans les cases qu’ils recherchaient. J’ai donc finalement publié quelques pages dans un fanzine à Genève que Jean-Claude Camano, éditeur chez Glénat, a vu et aimé. Et c’est ainsi que tout a démarré.

Le succès est venu très vite ?

Oui… à la mesure de la bande dessinée. Disons qu’il y a tout de suite eu un noyau de fans qui s’est formé autour de Titeuf et s’est agrandi au fur et à mesure. Des gens qui n’étaient pas forcément des lecteurs de bande dessinée mais qui avaient trouvé dans Titeuf quelque chose qui les intéressait. Le premier album est sorti à 5 000 exemplaires, le deuxième à 10 000 et ainsi de suite… Au dixième on en était à 2 000 000 !

Porté par ce succès de librairie, Titeuf est devenu le héros d’une série télé en 2002. Mais quand est née précisément l’idée d’en faire un film ?

Comme la série a aussi très bien marché en termes d’audience, j’ai eu assez vite des propositions d’en faire un long métrage. Ça ne s’est pas fait dans la foulée. Mais l’idée était plantée. Et je l’avais toujours gardée, depuis, dans un coin de ma tête. Je réfléchissais en tout cas à ce que je pourrais dire de particulier et de singulier dans un film par rapport à mes livres. Et en 2008, quand les producteurs sont revenus vers moi en disant qu’ils avaient les partenaires pour mettre en route cette aventure et qu’on pouvait donc se lancer, tout est finalement allé très vite. J’ai tout de suite indiqué que je voulais le réaliser moi car je ne pensais pas que quelqu’un d’autre puisse diriger Titeuf comme acteur ! Et l’écriture de l’histoire en elle même a été rapide parce qu’elle existait en moi, en petits morceaux, depuis longtemps.

Est-ce que l’écriture d’un scénario de film diffère beaucoup de celui d’une BD ?

J’ai beaucoup plus écrit que je ne le fais pour une BD, en fait. Sur une bande dessinée, mon travail passe avant tout par les dessins et l’écriture vient ensuite. Là, j’ai commencé évidemment par quelques petits dessins. Mais très vite, j’ai écrit une version dialoguée de mon histoire. Pour le faire, j’ai évidemment tenu compte des codes narratifs propres au cinéma. Mais quand j’écris du « Titeuf », j’écris du « Titeuf » que ce soit pour une BD ou un scénario de film. Je vis avec lui et sa bande depuis 18 ans donc je les connais bien ! Mais le cinéma permet de raconter plus de choses qu’un livre : l’histoire est plus longue, nourrie à la fois de plus de dialogues et évidemment des moyens cinématographiques à notre disposition…

Ce personnage de Titeuf existe donc depuis 18 ans et le lien aurait pu être distendu avec votre enfance. Vous considérez-vous dans la tête de Titeuf comme aux premiers jours ?

Même mieux en fait ! Car, dans les premiers temps, j’étais plus obsédé par les codes de la bande dessinée à respecter. Au fur et à mesure des albums, je suis devenu plus libre. Je ne cours plus après les gags. La technique du gag ne m’intéresse d’ailleurs pas particulièrement parce qu’à l’arrivée tous les auteurs de BD se retrouvent sur les mêmes territoires et finissent par se marcher sur les pieds. Avec Titeuf, j’ai la chance de me retrouver sur un territoire qui n’appartient qu’à moi et je suis donc plus à l’aise pour raconter ce que je veux. Rien ne me gêne aux entournures.

Comment avez-vous vécu ce marathon dont on semble ne voir jamais le bout ?

Disons que j’ai profité de mon inexpérience. Parce que si j’avais eu conscience du parcours du combattant que cela représente, je serais peut-être parti en courant ! (rires) Ça a vraiment été un travail de très longue haleine. Pour un plan de 4 secondes d’un simple travelling dans un hall de gare, il faut faire 30 dessins préparatoires puis une centaine d’autres plus poussés, des mises en couleur, des effets spéciaux… Au final, ce plan demande à lui seul trois semaines de travail !

Comment avez-vous travaillé sur la voix de Titeuf ?

Il est assez vite apparu évident qu’il fallait qu’on garde le comédien de la série : Donald Reignoux. Car il est Titeuf dans l’oreille des gens qui l’ont entendu. Mais je voulais que sa voix soit moins hystérique et son jeu plus relâché parce qu’avec la série on évolue dans un mode très « cartoon » alors qu’au cinéma, le panel d’émotions est plus large. J’ai donc demandé à Zabou Breitman, qui est une copine, de le faire travailler pour emmener son jeu vers une teinte plus cinéma, Donald avait déjà doublé des personnages dans des films américains. Mais quand il le fait, il se cale sur son jeu alors que là le travail que je lui demandais était différent : il devait inventer des choses. Donald est très jeune. À 16 ans, la série « Titeuf » fut son premier rôle important. Mais c’est un bosseur qui s’est amusé à développer la palette de son jeu, à multiplier les propositions… Et je trouve vraiment superbe le résultat de son travail.

Pourquoi avoir fait appel à Jean-Jacques Goldman pour collaborer à la musique ?

Avec Jean-Jacques, on se connaît depuis dix ans puisque j’avais fait des dessins pour le livret de son CD, Chansons pour les pieds qui est sorti en 2001. On avait donc passé pas mal de temps ensemble et depuis, on se revoit de temps en temps, on échange sur plein de sujets. Et il m’a été d’un conseil plus que précieux sur ce projet. Je n’avais pas envie qu’on confie la musique à quelqu’un qui me fasse une B.O. clé en main et de me retrouver, au final, avec un costume mal taillé. Au départ, je n’avais pas d’idée précise en tête sur la musique mais je savais ce que je ne voulais pas. Je me suis permis de demander à Jean-Jacques s’il n’avait pas une idée. Et il m’a alors proposé de travailler avec son équipe de musiciens et son frère, avec qui il écrit souvent.

Au final, qu’est-ce qui a été le plus angoissant dans cette aventure ?

Le rythme. À partir du moment où on a commencé l’animation en janvier 2009, on était le nez sur le guidon. En septembre 2009, on a annoncé officiellement la sortie du film le 6 avril 2011. On savait donc qu’on devait tout boucler ou presque pour janvier 2011. Et à partir de là, on a passé notre temps à courir pour rattraper notre retard. Pour prendre un exemple, quand des animateurs qui devaient fournir 15 secondes par semaine n’en fournissaient que 4, il a bien fallu trouver des renforts. On a donc fait appel à des amis d’amis qui venaient de finir un travail pour Dreamworks et qui, avant d’enchaîner avec un autre, avaient 6 semaines de libre qu’ils acceptaient de nous consacrer. La logistique a vraiment totalement explosé entre le début et la fin du film. On s’est retrouvés avec 6 ou 7 chargés de production qui géraient des studios partout dans le monde. Je ne vous cache pas que ce fut parfois un peu paniquant !

Et qu’est-ce qui restera dans votre esprit comme le moment le plus joyeux ?

L’arrivée des plans qu’on voit bouger, à chaque étape de leur fabrication : d’abord nus, puis en couleurs, puis en couleurs dans les décors, puis avec les lumières et les ombres… Les deux derniers mois du processus ont été les plus beaux pour moi : voir les 1200 scènes du film achevées les unes après les autres. L’angoisse de ne pas finir à temps disparaît alors pour laisser la place à l’euphorie du film qui se termine.

Découvrez l’interview de Jean-Jacques Goldman, qui a travaillé sur la musique du film, ainsi que celle des doubleurs du film.

Partager l’article

Articles similaires