De la littérature à l’écran, Yakari est un personnage emblématique qui traverse les générations. Xavier Giacometti, le réalisateur de la série et du film d’animation, revient sur ce phénomène mondial. Rencontre.
Le film Yakari est librement inspiré du premier album de la BD. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette adaptation ?
Pour la première fois, le personnage de Yakari allait être porté au grand écran : il devait toucher un large public à travers le monde. Nombreux étaient celles et ceux qui allaient découvrir notre personnage pour la première fois. Il fallait revenir au tout début de cette grande aventure et faire de cette première rencontre, entre le petit Sioux et le mustang le plus rapide de la plaine, un très grand spectacle. La bande dessinée de Derib et Job est faite pour le cinéma, mais le cinéma ne raconte pas de la même façon qu’une BD ou une série.
Ce n’est pas facile de passer de l’un à l’autre. Le cinéma demande beaucoup de temps de préparation. L’histoire doit être bien construite et spectaculaire, l’émotion doit être intense et sincère. C’est ce qui me plaît au cinéma, c’est ce que je voulais absolument pour le film Yakari.
Vous avez travaillé sur la série animée de Yakari. Vous êtes-vous inspiré de ce travail pour réaliser le long métrage ? Et quelles sont les grandes différences avec la série ?
En effet, j’ai réalisé les cinq saisons de la série Yakari et ses 256 épisodes. Plus de dix ans de ma vie. Dès le départ, j’ai eu la conviction que cet univers était riche : une fresque humaniste, des valeurs universelles, et, bien sûr, la nature sauvage du continent nord-américain dans toute sa splendeur. C’est la série et son succès qui ont rendu possible l’aventure au cinéma.
La série nous a énormément aidés, artistiquement et techniquement : les différences entre la série et le film se trouvent aussi dans le budget, qui est plus important au cinéma. L’argent donne le temps de bien faire, de rentrer plus intimement dans la sensibilité des personnages. Ce temps, c’est plus de sens et d’émotion, à chaque étape des images et du son.

L’animation du film est assez différente de celle de la série. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les deux dernières saisons de la série étaient déjà en décors 2D et animation 3D. Mais pour rester cohérent avec les premiers épisodes et rendre hommage au dessin de Derib, nous avions donné à notre animation 3D un aspect 2D. Nous avons fait la même chose pour le film, mais avec de nouveaux outils.
Dans ces métiers de l’animation, les progrès techniques sont spectaculaires et très rapides : les logiciels évoluent sans cesse et rendent accessibles des images dont on n’osait pas rêver quelque temps plus tôt. J’ai eu la chance de démarrer avec des crayons, du papier et des caméras 35 mm. Aujourd’hui, les machines sont à toutes les étapes de la création et c’est très bien comme ça. Mais attention, sans le talent de la personne qui est devant l’ordinateur, il n’y aura jamais d’image ou de son de qualité. Les machines seules ne font pas de bons films. Elles ne font pas de film du tout.
Avez-vous une anecdote ou un secret de fabrication à partager avec nous ?
Oui, un grand secret : pour réussir ce que l’on entreprend, pour faire de belles choses, il faut les faire avec amour, y mettre tout son cœur. Il faut remuer ciel et terre pour que cette machine colossale qu’est la fabrication d’un film se fasse le plus sereinement possible. Les artistes et techniciens qui y participent doivent avoir envie de donner le meilleur d’eux-mêmes. Ils doivent être fiers du résultat. Mais pour parvenir à cette magie-là, ce n’est pas compliqué, il suffit de copier Yakari : il écoute son cœur avant d’agir.
Une anecdote tout de même : dans deux langues, une indienne et l’autre amérindienne, « Yakari » signifie « celui qui agit ». Et ça, je ne l’ai découvert qu’après avoir fait 250 épisodes. Allez, une seconde anecdote : il y a un nouveau film Yakari en préparation. Il devrait sortir en 2025. Ce ne sera pas une suite, mais une nouvelle et fabuleuse aventure. On en saura beaucoup plus sur Arc-En-Ciel et Graine-De-Bison. Beaucoup, beaucoup plus…

N’est-il pas difficile, voire intimidant, de réaliser le premier film qui met en lumière ce personnage culte de la littérature jeunesse (avec 5 millions d’exemplaires vendus) ?
Si, bien sûr, mais c’est comme le trac chez les musiciens, être intimidé vous donne beaucoup d’énergie. On ne veut pas décevoir les auteurs d’origine et les producteurs qui vous font confiance. On veut surtout faire rêver le jeune public pour qu’il soit, comme nous, amoureux de Yakari.
Beaucoup d’enfants ont découvert Yakari avec ce film. Selon les témoignages, beaucoup allaient au cinéma pour la première fois : c’est une grande responsabilité pour moi. Je me rappellerais toute ma vie du premier film que j’ai vu au ciné : Peter Pan. Comme je me rappellerais aussi de mon premier roman : Pinocchio. Des œuvres qui ont marqué définitivement l’adulte que je suis.
Comment le film Yakari a-t-il été accueilli par le jeune public (mais aussi par les plus grands) ?
Je ne suis pas le mieux placé pour en parler, mais à voir le regard des enfants à la sortie des salles et après avoir écouté ce qu’ils en disaient, je crois que Yakari s’est fait plein de nouveaux amis à travers le monde. C’est Tilleul, le petit castor, qui va être jaloux, il voudrait garder Yakari pour lui tout seul.
J’ai aussi la chance, en tant que scénariste de la BD Yakari, de rencontrer les parents des lecteurs et des spectateurs. Je réalise à quel point les adultes, eux aussi, sont de grands fans de notre petit Sioux. Ils l’ont connu il y a longtemps et l’aime toujours autant. Ils tiennent à partager cette œuvre avec leurs propres enfants : partager ses valeurs d’amitié et de respect. Respect pour les autres, pour la nature, et pour tout ce qui vit. Dans ces périodes difficiles que nous traversons tous, Yakari est une petite lumière, une fenêtre sur un monde où l’homme et la nature vivaient en harmonie. Si le film a plu, c’est en grande partie pour cette raison.
