L’acteur Charles Berling se livre à travers cette interview sur son rôle de père tyrannique, dans le film de Michel Boujenah, Le cœur en braille.
QU’EST-CE QUI VOUS A TOUCHÉ DANS CE PROJET ?
C’est l’histoire d’une jeune fille, préado, qui sentant son mal approcher, se bat contre lui avec beaucoup de malice. Par la suite, c’est le couple qu’elle forme avec le petit Victor qui se bat. Personnellement, cela me touche de voir des enfants qui refusent d’être traités comme des petites personnes qui ne pensent pas, qui n’ont pas d’idées ni de sentiments. Montrer cet amour naissant entre des enfants, c’est très beau. Michel Boujenah a une approche de l’enfance qui n’est pas bêtifiante et qui ne considère pas les enfants comme des êtres inachevés, car il y a dans l’enfance une maturité formidable. Finalement dan le film, on voit bien que les parents – les adultes –, à travers leurs blessures et leur histoire, ont perdu pour certains leur bon sens et leur clairvoyance et se sont mis des œillères. Leur vie est plus étriquée au fond. Et l’histoire de ces enfants va forcer les adultes à mieux se regarder. On inverse les choses : au lieu que ce soient les adultes qui éclairent les enfants, les enfants vont se battre pour ramener leurs parents à la raison.
QUI EST CE PÈRE TYRANNIQUE QUE VOUS INCARNEZ QUI N’ARRIVE PAS À COMPRENDRE SA FILLE ? N’EST-CE PAS LUI LE PLUS AVEUGLE DES DEUX ?
Complètement ! La clairvoyance et l’intelligence des enfants, qui amènent les enfants à plus de lucidité, s’applique très bien au rapport père-fille. Je crois que ce père éprouve de la crainte pour ses enfants et elle produit l’inverse de ce qu’il devrait faire pour eux. Par excès de prudence et de volonté de protection, on peut être amené à faire des choses contreproductives. J’ai joué la même année Vue du pont d’Arthur Miller où un père se fourvoie par amour pour son enfant et fait des choses terribles. Parfois, la relation entre parents et enfants est pervertie par cette peur, par cet excès de protection. Dans le film, le père de cette jeune fille est vraiment dans une impasse et l’histoire, à travers ce petit couple charmant, va le sortir de cette ornière et avoir raison de sa rigidité.
EST-CE UNE MANIÈRE D’EXPRIMER SA RANCŒUR, LUI QUI N’A PAS LA GARDE DE SA FILLE ? ET DE MANIFESTER SON IMPUISSANCE À ÉLEVER SA FILLE ?
Pour moi, le plus important, c’est le rapport à la musique : le père que j’incarne pense que l’art est charmant, sans nécessité, comme beaucoup de gens. Or, sa fille lui montre que c’est indispensable à son équilibre et à sa vie, et que ce n’est pas un passe-temps. On en avait parlé avec Michel : le père ne comprend pas l’intérêt que peut avoir la musique pour son enfant. Moi-même, j’entends souvent des gens me dire que mon métier est superflu. C’est méconsidérer l’intérêt profond que peut avoir l’art, la littérature, le cinéma. La petite, par sa détermination et son obstination, et parce qu’elle est justement une enfant et qu’elle est donc encore clairvoyante, « joue ». Et jouer, c’est exercer une activité fondamentale de l’être humain, tout comme boire, manger, respirer. Certains adultes, dans la petitesse de leur quotidien, vont l’oublier. Le film rappelle cela. Et le père que j’incarne est tombé dans ce panneau.
COMMENT VOUS ÊTES-VOUS ENTENDU AVEC LA PETITE ALIX ?
Très bien. C’est une enfant singulière, fragile, intelligente et on s’est très bien entendus. J’ai aussi eu des scènes avec le petit couple qui était charmant.
ET AVEC MICHEL BOUJENAH ?
J’ai senti tout de suite qu’il était en phase avec quelque chose qu’il voulait retrouver : travailler avec des enfants. Il l’a déjà fait et ça l’habite beaucoup. On sentait avec Pascal Elbé qu’on pouvait arriver en renfort de Michel pour aborder ce monde de l’enfance. Avec Michel, il y a eu un mélange de doutes et de questionnements dès la lecture du scénario. Ce qui est bien avec lui, c’est qu’il n’y a pas de fausse pudeur, de susceptibilité mal placée. On est dans une période de travail et de questionnement pour que le centre du film soit le plus conforme à ses désirs. Michel aime écouter – il a besoin d’écouter – même s’il a sa sensibilité et son point de vue. Il aime le dialogue. Ensuite, le fait qu’on se soit beaucoup fréquentés depuis longtemps permet cette complicité qui est importante.
AVEZ-VOUS EU RECOURS À L’IMPROVISATION ?
Pour toute la fin du film, on a beaucoup improvisé. On cherchait ensemble à développer la façon dont ce père se révèle à lui-même et sort de sa carapace. C’était l’objet de scènes improvisées et c’était formidable pour moi de me sentir aimé pendant mes improvisations.
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