Le 1er février 2023 sortait au cinéma l’un des films français les plus attendus de l’année, Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu. Guillaume Canet livre les secrets de son nouveau film adapté de la BD à succès. Rencontre.
Commençons par le tout début de cette incroyable aventure de cinéma aura duré 4 ans au total : est-ce que les aventures d’Astérix et Obélix faisaient partie de votre culture d’enfance ?
Totalement ! Mon père possédait presque toutes les BD d’Astérix et c’était d’ailleurs ses albums à lui, c’est-à-dire qu’il les lisait seul, au-delà de les partager avec mes sœurs et moi. Et c’est assez touchant aujourd’hui à mon tour de lire ses albums avec mes enfants. C’est une des raisons pour lesquelles je me suis lancé dans ce projet : pouvoir enfin faire un film pour mes enfants, et pour tous les enfants…
Et quel souvenir gardez-vous des quatre premiers films de la franchise au cinéma ?
J’ai vu celui de Claude Zidi en 1999 que j’avais beaucoup aimé, mais c’est avec celui d’Alain Chabat en 2002 que j’ai pris une claque. À mes yeux, c’est ce film qui a vraiment développé l’intérêt des spectateurs pour les aventures d’Astérix et Obélix en prises de vues réelles… Il a réussi à garder l’ADN de la BD tout en apportant sa touche, son ton : il a inventé quelque chose que l’on n’avait pas encore vu au cinéma en France. Ensuite, j’ai aussi vu les deux suivants et je trouve d’ailleurs, (même s’il est toujours compliqué de comparer les films entre eux), que la direction artistique de l’épisode aux Jeux Olympiques en 2008 est de belle qualité.
J’ajoute que derrière les personnages d’Astérix et Obélix, il y a également Hachette et les ayants droit d’Uderzo et Goscinny qui veillent au respect de l’œuvre. J’ai eu la chance de rencontrer Albert Uderzo avant qu’il nous quitte et j’ai pu lui lire une partie du scénario sur son canapé, dans son bureau. Je l’ai vu sourire, se marrer. C’est un grand moment, très émouvant et je lui ai fait la promesse de veiller sur son œuvre du mieux possible. On ne peut pas faire n’importe quoi avec cet univers-là. Il me semble qu’au final nous sommes très fidèles à cet esprit.
À quel moment le projet de L’Empire du Milieu est-il arrivé jusqu’à vous ?
Alain Attal, mon producteur de toujours, s’est associé à Yohan Baïada, qui avait au départ développé le projet d’un Astérix et Obélix en Chine, et qui avait obtenu l’accord de Hachette pour cette histoire originale. Ils m’ont donc demandé si ce projet m’intéressait sur le papier et m’ont fait lire un traitement présentant les grandes lignes de l’histoire. Or à la base, je ne me voyais pas du tout faire ça ! Mais au fil de cette lecture, m’est apparue la possibilité de faire un grand film d’aventures et de voyage…
Assez vite, j’ai vu tout le cinéma que l’on pouvait amener à cette histoire, avec des batailles, des scènes d’actions, de très grands décors : une épopée comme on n’en voit plus beaucoup en France. Je savais qu’Astérix est une franchise qui permet d’avoir les moyens pour faire tout cela… Mais une fois mon intérêt pour le projet signifié, j’ai dû passer le test du réalisateur et montrer patte blanche ! A ce stade, j’ai découvert la première version du scénario écrite par Julien Hervé et Philippe Mechelen. Nous avons retravaillé ensemble puis seul de mon côté car je voulais rendre le film plus personnel, en y amenant des choses de mon propre univers. Je pense qu’au total j’ai dû écrire une dizaine de versions avant de me lancer !
Vous le disiez, Astérix est une des rares grosses franchises du cinéma français. Près de 450 millions de dollars de recettes dans le monde, près de 40 millions d’entrées chez nous… Est-ce facile de s’affranchir de tout cela ?
Alors je mets toujours ça de côté quand je réalise un film… Je pense avoir au moins une qualité : l’inconscience ! Attention, cela n’empêche pas d’être réaliste et sérieux mais je veux garder une certaine insouciance en me disant que si l’on me confie un projet comme celui-ci, c’est parce que l’on a confiance en moi. Il faut ensuite que je fasse du mieux possible avec ce que je sais faire. Vous savez, c’est comme grimper une montagne à mains nues : quand vous vous arrêtez en vous demandant si vous allez y arriver, vous tétanisez et vous tombez. Sur un projet comme Astérix, une fois lancé, c’est impossible de faire marche arrière.
C’est une machine monstrueuse qui implique énormément de gens et à chaque question que l’on vous pose mais aussi à chaque réponse que vous donnez, cela a des conséquences monumentales immédiates. Moralité : ne jamais se poser de question et toujours faire croire qu’on a la réponse ! Plus sérieusement, c’est mon 8ème film en tant que réalisateur et l’expérience des tournages passés m’a été très utile, car même si je n’ai pas voulu me soucier de l’ampleur du budget, j’ai tout de même veillé à rester dans le cadre.
Je me suis également rendu compte que, même avec un budget aussi énorme, on arrive à avoir des problèmes de dépenses C’est complètement fou ! L’explication est simple : tous les corps de métier qui ont participé au film savaient qu’il s’agissait d’un Astérix et chacun voulait faire le meilleur travail possible : déco, costumes, effets spéciaux, etc. Prenons l’exemple des costumes : Madeline Fontaine les a confectionnés avec des pigments qui étaient utilisés à l’époque gallo-romaine pour que ce soit plus réaliste encore. Toutes ces teintures ont été faîtes à la main ! Sur les tenues des soldats, chacune des petites pièces en cuir a été découpée à la main avant d’être cousue, manuellement aussi, sur les 400 figurants… C’est un boulot de dingue ! Alors oui, cela implique de dépenser beaucoup d’argent mais au final, ça les vaut car ça se voit à l’écran…
En plus d’avoir coécrit le film et réaliser Astérix : L’Empire du Milieu, vous jouez le rôle d’Astérix…
Oui, mais je ne voulais pas à l’origine ! Pour tout vous dire, lorsque j’ai développé l’histoire et les personnages, j’avais très envie de jouer César. J’ai donc commencé à écrire ce rôle de dépressif, fou amoureux d’une Cléopâtre qui vient, elle, de conquérir le marché chinois, alors que lui doit accepter de n’être connu « que » dans son empire européen. Peut-être y ai-je vu certaines similitudes avec ma propre vie. Ça me faisait marrer de voir les choses comme une sorte de suite à Rock n’ roll Mais justement, en en parlant très en amont avec Gilles Lellouche, (qui n’était pas encore pressenti pour jouer Obélix), nous nous sommes rendu compte que jouer à nouveau sur ce registre avec Marion risquait de faire un peu redite. J’ai alors pensé à Vincent Cassel avec qui je voulais travailler depuis très longtemps. Et là, je l’ai vu en César : c’est fou, il a totalement le profil du personnage de la BD. Il a ce côté félin, l’âge de jouer le rôle, la prestance et puis je me suis dit qu’avec Marion ça serait top.
Finalement, le fait de ne pas jouer moi-même dans le film me semblait une bonne idée vue l’ampleur du projet. S’en suivent des réunions pour parler du casting et bien entendu des personnages d’Astérix et d’Obélix. Pour ce dernier il fallait quand même prendre la place de Depardieu qui a plié le jeu depuis le début. Obélix, c’est lui ! Et en plus, il a fait les 4 premiers films alors que trois acteurs, (Christian Clavier, Clovis Cornillac et Edouard Baer), ont incarné Astérix. Nous avons alors commencé à passer en revue les noms de plusieurs comédiens et à un moment, chez Pathé, Jérôme Seydoux me dit « je ne comprends pas Guillaume : pourquoi ça ne serait pas vous ? C’est vrai quoi : vous êtes jeune, vous avez la patate, vous êtes le petit nerveux qui veut toujours avoir raison… Vous êtes parfait ! » Tout le monde a commencé à se chauffer sur cette idée autour de la table et moi je me disais « mais ce n’est pas possible : comment concilier un rôle aussi important tout en réalisant un film de cette envergure ? »
Et finalement, vous avez donc accepté !
Oui parce que j’ai compris qu’il fallait un couple d’acteurs amis pour jouer Astérix et Obélix et c’est là où j’ai pensé à Gilles… Alors cela impliquait qu’il prenne du poids mais je savais qu’il avait en lui l’essentiel pour un tel personnage : la capacité de jouer quelque chose de l’enfance, de la naïveté, presque poétique… Je suis allé le voir pour savoir s’il était prêt à prendre 15 ou 20 kilos et à passer après Depardieu. Gilles a eu le courage d’accepter et je sais qu’au bout d’une minute, on ne voit plus que lui dans le rôle. Il est touchant, magique… ça me fait hyper plaisir car c’était un des paris majeurs de cette aventure. Je peux vous dire que Gilles a fait le job : il a pris du poids, fait de la musculation et s’est glissé dans le costume pour vraiment devenir Obélix.
Vous vous souvenez de la première fois où vous vous êtes retrouvés tous les deux dans les costumes et sous les maquillages de vos personnages ?
Une catastrophe ! Un mois et demi avant le tournage, nous nous sommes rendu compte avec Gilles que ces deux rôles nécessitaient un vrai travail de fond. J’ai donc organisé une répétition de la première scène en costumes, nous avons commencé à jouer et ça a été la panique totale ! Nous avons alors décidé de collaborer avec un coach extraordinaire, Daniel Marchaudon qui nous a fait bosser chacun de notre côté et qui a provoqué un déclic : à un moment, Gilles et moi avons compris qui étaient ces deux gaulois. En fait, dans le film, Astérix et Obélix sont plus sexués que d’habitude. Ce sont des ados qui découvrent le sentiment amoureux et cela provoque chez eux des engueulades, des brouilles. Ce travail-là nous a fait repenser aux gamins que nous étions, à la manière dont nous nous comportions vis-à-vis de nos potes et ça a été déterminant. Ensuite, avec Gilles, nous avons beaucoup répété jusqu’à trouver la voix des personnages, leur manière de bouger, de parler.
Le fait de traiter ces héros comme de grands enfants apporte d’ailleurs au film un ton et un fond très touchant, au-delà du film d’aventures épiques. Cela rejoint certains de vos autres films comme Les Petits Mouchoirs, Rock N’Roll ou Blood Ties, la manière dont le temps joue sur nos amitiés, nos amours, nos liens familiaux…
Absolument : être amis pendant des années amène forcément à des tensions. Astérix et Obélix n’échappent pas à cela. On sait depuis les toutes premières BD que ce sont des potes mais qu’ils se prennent régulièrement la tête et assez vite, même pour des broutilles.
Et pour la première fois, vous les montrez enfants avec notamment le fameux épisode où Obélix tombe dans le chaudron de potion magique…
Je me suis toujours demandé gamin pourquoi on ne voyait jamais ce moment dans les BD. Je sais qu’il existe un illustré dans lequel la scène apparaît en un dessin mais rien de plus. Je trouvais intéressant d’en faire une courte séquence en flash-back. De même, quand Obélix ressent quelque chose pour le personnage de Tat Han, je voulais que ça se voit, qu’on comprenne qu’il a des papillons dans le ventre et que ça lui rappelle cette première sensation de la potion. Sensation qu’il n’a jamais retrouvée puisqu’on lui refuse toujours la possibilité d’en boire à nouveau.
Parlons du reste du casting, sans doute le plus beau de cinéma français depuis très longtemps. On a l’impression que vous avez choisi vos acteurs par rapport aux rôles et à l’histoire, pas juste pour faire la plus belle liste de guest possible !
C’est exactement ça : je ne voulais pas d’un kaléidoscope prestigieux mais de comédiens ayant quelque chose à jouer. D’une manière générale, lorsqu’on veut faire un film comme celui-ci, (un film ambitieux et populaire), on choisit des acteurs que le public apprécie. Mais cela ne m’a pas empêché d’aller aussi chercher des visages moins connus comme Yann Papin pour le rôle d’Abribus, le responsable de la sécurité de César par exemple. Il y a aussi les rencontres : quand j’ai discuté avec Ramzy pour le personnage d’Epidemaïs, Bigflo et Oli étaient avec lui. On buvait un coup à Pigalle, je ne les connaissais pas personnellement mais j’ai de suite adoré leur énergie et j’ai pensé à eux pour jouer les vendeurs de Ramzy ! Ils ont aussi participé à la chanson du générique de fin, un rap incroyable avec Matthieu Chédid.
Pour le casting, les choses se sont faîtes comme ça, au fur et à mesure. C’est le cas d’Angèle dans le rôle de Falbala, qui incarne vraiment son personnage. À l’époque de Zidi, il était allé chercher Laetitia Casta et nous nous sommes demandés qui, aujourd’hui, pouvait le mieux représenter cette féminité dans la nouvelle génération. Angèle s’est vite imposée. Pour le personnage d’Abraracourcix j’ai pensé à Jérôme Commandeur avant tout parce que je l’adore mais aussi parce qu’il était légitime en chef de village de mauvaise foi, sans cesse recadré par sa femme Bonemine, interprétée par Audrey Lamy ! Jonathan Cohen, (qui joue Graindemaïs), me fait lui aussi hurler de rire et je trouvais qu’il était parfait pour jouer ce type arriviste qui a envie de tout casser pour réussir, un peu le profil de Serge le mytho. Jonathan a un vrai sens du rythme de la comédie et la manière dont il vient perturber le duo Astérix-Obélix fonctionne formidablement…
Quant à José Garcia qui incarne Biopix, (le scribe fan de César), je me souviens d’une soirée au profit d’une association où j’ai vraiment fait sa connaissance en me disant que je voulais absolument travailler avec lui. C’est après cela que je lui avais confié un petit rôle dans « Nous finirons ensemble » et pour Biopix, il m’a proposé ce personnage brésilio-galicien que je trouve hilarant ! Pour Pomme, (à qui j’ai demandé d’interpréter la chanson en chinois du film), je l’ai vue chanter un titre en japonais sur Instagram pour Konbini et sa voix m’a bluffé. Ce que j’aime en fait dans ce riche casting, c’est qu’il rassemble des gens venant à la fois d’un cinéma très populaire et plus « auteur ». Ce qui m’a frappé, c’est que tout le monde en fait avait envie de jouer dans Astérix ! De toutes celles et tous ceux à qui j’ai proposé un rôle, pratiquement personne ne m’a dit non. J’ai par exemple été tellement heureux que Gérard Darmon accepte de faire la voix off. Cet univers, ces personnages font partie de l’inconscient collectif : nous avons grandi avec, nos enfants continuent à les découvrir.
Arrêtons-nous aussi sur les actrices qui incarnent la princesse Fu Yi et sa garde du corps Tat Han, deux personnages importants du film…
Pour la princesse, je pense avoir vu 300 comédiennes avant de choisir Julie Chen. C’était très compliqué car il fallait trouver une actrice qui soit à la fois chinoise d’origine, ayant des bases de kung-fu, tout en ayant un charme fou. Julie a une histoire incroyable : elle rêvait de faire du cinéma mais elle était commissaire aux comptes ! Quand elle a vu l’annonce pour le casting, elle s’est filmée dans sa chambre et quand j’ai regardé la vidéo, j’ai trouvé qu’elle avait vraiment un truc. Je l’ai donc rencontrée plusieurs fois pour faire des essais et quand j’ai abordé la question des arts martiaux, elle m’a dit que son frère était champion de kung-fu et qu’il y avait un dojo chez eux pour que tout le monde pratique ! Mon choix était donc fait.
Pour Leanna Chea qui interprète Tat Han, ça a été une très belle histoire car je l’ai castée pour ce rôle de Tat han en raison de ses talents d’actrice. Lorsque je me suis retrouvé avec elle pour les répétitions dans les décors lors de la préparation, je me suis rendu compte avec les cascadeurs qu’elle n’avait pas un niveau de kung-fu suffisant pour assurer elle-même les combats. J’ai donc engagé une cascadeuse pour la doubler et, à ma grande surprise, une fois sur le plateau quelques semaines plus tard, je me suis rendu compte que Leanna avait travaillé nuit et jour pour être aussi crédible que sa doublure. Elle a été extrêmement courageuse et déterminée durant tout le tournage, malgré les coups et les blessures. Leanna, c’est une des rencontres les plus émouvantes de ce tournage. Je reste ébahi par sa ténacité et son envie.
Un mot aussi sur Zlatan Ibrahimovic à qui vous avez confié le rôle d’Antivirus, le guerrier invincible de César…
Encore une histoire dingue. Au départ, je le contacte par l’intermédiaire d’un type qui s’appelle Bob et que j’avais rencontré à l’époque où il était au PSG. J’obtiens ses coordonnées et je lui laisse un message. C’est Zlatan qui me rappelle directement, je lui parle du film, de son personnage de bodyguard de César et là, il me dit cette phrase extraordinaire : « comment César peut-il jouer le bodyguard de César ? » avant de se marrer ! En le rencontrant, j’ai compris que ce mec était non seulement très drôle mais aussi humble, adorable et touchant.
Il est allé chercher en lui cette confiance qu’il affiche sur les terrains et dans les médias. Ce qui est fou, c’est que j’ai été son seul interlocuteur sur le tournage, que ce soit pour son personnage, son contrat, son planning, l’organisation de ses venues, son costume, ses cascades, etc. À chaque fois qu’il fallait régler un truc, personne de mon entourage n’arrivait à le joindre donc c’est moi qui appelais Zlatan et il me répondait tout de suite : « yes boss ? » « what do you want boss ? ». Quatre ans de conversation ! Je peux vous dire qu’il a vraiment joué le jeu, il a assuré des scènes de cascade, sous la pluie sans jamais râler, restant avec moi pour regarder les images. C’est un personnage vraiment à part.
Durant tout le film, vous vous amusez avec des anachronismes, mais jamais vous ne tomber dans le piège du pastiche ou de la parodie…
Je n’avais pas envie de faire un film à gags : pour moi, l’histoire et les personnages étaient plus importants que tout. Quand vous multipliez ce genre d’effets, vous perdez l’humain en cours de route. Je me suis donc amusé avec tous ces petits moments en veillant à ce qu’ils s’inscrivent de manière constante dans la tonalité d’un grand film d’aventure. Pourquoi a-t-on envie aujourd’hui d’aller en salle dans une période compliquée pour le cinéma ? Quand le public se déplace, c’est pour voir des choses spectaculaires. Les plateformes proposent de plus en plus de qualité, (séries ou films), donc c’est en imaginant des productions événementielles qu’on s’en sortira. J’ai imaginé cet Astérix avec la volonté de soigner la lumière, les décors, les costumes, les scènes d’action, les batailles pour en faire une grande épopée cinématographique. Alors oui, ça n’empêche pas d’aller dans l’anachronisme mais il faut le faire de manière raisonnable, au service du récit.
Venons-en au tournage du film : là aussi vous avez vécu une aventure épique ! Au départ, l’idée était d’aller tourner en Chine me semble-t-il ?
Nous sommes en effet allés plusieurs fois sur place, notamment pour rencontrer de possibles coproducteurs. Très vite nous avons compris qu’en tournant là-bas, nous devrions faire face à la censure car il y avait beaucoup de choses qui ne plaisaient pas aux autorités dans le scénario, notamment au niveau de l’humour : on ne pouvait pas parler de pandas par exemple ! Je sentais que ça allait être difficile, d’autant que la situation diplomatique s’est compliquée avec le drame des Ouighours et je ne nous voyais pas participer à des projections officielles, faire des photos, emmener les comédiens, etc., pris en otages d’une certaine manière dans tout ce contexte. À un moment, il nous est apparu à tous qu’il fallait abandonner l’option chinoise et faire le film en France, ce qui à mon sens était extrêmement courageux de la part de Pathé et des producteurs. Et en effet, nous avons travaillé à 100% ici, que ce soit pour les décors, les costumes, les effets spéciaux, les studios ou les extérieurs en Auvergne.
L’Auvergne justement, où vous avez notamment reconstitué la steppe chinoise pour la grande bataille du film, dans des conditions de météo parfois difficiles…
Il fallait cette immense plaine avec une cuvette naturelle pour filmer cette séquence essentielle du film. Nous avons donc vu plein d’endroits différents et c’est en Auvergne que nous l’avons trouvé, un jour où il faisait très beau. En partant, je demande quelle est la météo au printemps et on me répond « ça peut être tout ou rien : il peut y avoir de la neige et faire -5°, y compris au mois de mai » ! Nous avons décidé de prendre le risque, en arrivant sur place au printemps avec des barnums de 800 m2, 500 figurants en spartiates et jupettes, par 5° de température et une lumière qui changeait de minute en minute. Or, du fait des conditions sanitaires, il fallait porter le masque entre les prises mais entre le « moteur » et le « action », il se passait 20 minutes pour que tous les figurants et comédiens le fassent !
Je me souviens aussi que l’on faisait passer des brouettes entre les rangées de légionnaires pour que les gars mettent leurs polaires dedans avant de tourner. Et puis c’est la montagne l’Auvergne : vous commencez une scène sous le soleil mais 1⁄4 d’heure plus tard, vous êtes dans un brouillard épais comme une purée de pois ! Ça a été comme ça durant tout le tournage mais pour être franc et bizarrement quand je regarde le making-off, je me vois en train de sourire et rire ! Je sais que je me suis accroché, je gardais la niaque sans jamais sombrer dans le défaitisme malgré ces moments difficiles. Rencontrer des difficultés vous oblige à revenir à l’essentiel. Nous avons donc trouvé des solutions, adapté le plan de tournage pour faire en deux jours ce qui était prévu en 5. Je ne sais pas si le fait de m’être mis à la méditation m’a aidé en la matière mais je suis devenu plus fataliste !
Si l’on parle des décors intérieurs, vous avez voulu et pu reconstituer en studio des palais, des rues, des bâtiments entiers. Là aussi, c’est un travail colossal qui a été accompli…
C’était également une de nos grandes ambitions et ce travail dont vous parlez est dû à deux personnes. D’abord Aline Bonetto qui a commencé le film en concevant une partie de ces décors mais qui, à cause du confinement de 2020 et du report du tournage d’Astérix, a dû partir sur un autre très gros projet. J’ai proposé à son plus proche collaborateur Mathieu Junot, de prendre la relève et il s’est jeté avec une envie folle dans ce chantier colossal. Je trouve qu’il a fait un travail de titan, extraordinaire. Regardez les détails, les patines, la reconstitution de la rue de Shanghai, la taverne, la prison : je me souviens m’être baladé dans tout cela le soir, une fois le plateau vide et m’être dit « c’est dingue » ! Quand vous disposez de ce genre d’outils, vous avez vraiment l’impression de faire du cinéma. Pour le village gaulois par exemple, ça n’est pas tourné sur fond vert, ça ne ressemble pas à du carton-pâte ou à un parc d’attraction : ça sent vraiment le granit et le bord de mer ! Nous avons construit ce décor en extérieur à Brétigny-sur Orge et c’était fou de voir ces huttes vraiment sortir de terre…
Vous évoquiez les effets spéciaux : il y a aussi des séquences spectaculaires, notamment avec des milliers de guerriers et soldats…
J’ai fait une formidable rencontre avec Bryan Jones et Pierre Procoudine-Gorsky qui ont chapeauté les 1300 plans à effets spéciaux en gérant toutes les sociétés qui ont travaillé sur cet aspect du film. Bryan vient du Canada, il a bossé chez Marvel et il sait exactement ce dont il a besoin : il a donc demandé à plusieurs boîtes différentes de se concentrer sur ce qu’elles savent faire, que ce soit la mer, la potion magique, la foule, etc. Bryan et Pierre étaient donc mes seuls interlocuteurs dans ce domaine et ça m’a grandement simplifié les choses, puisque c’est avec eux que je validais les plans en post-production… Ce travail remarquable renforce la volonté de faire un film impressionnant avec des batailles, des bagarres ou des cascades qui ont vraiment de la gueule !
En tant que réalisateur, vous y trouvez votre compte ?
Oui, j’ai beaucoup appris, comme une sorte de stage intensif ! Cela m’a donné l’envie de refaire ce genre de films spectaculaires et puis ça m’a ramené à l’essentiel. Quand le confinement est arrivé, nous avions achevé la prépa d’Astérix. Tout s’est arrêté et pendant plusieurs mois, durant lesquels j’ai écrit « Lui » mon film précédent que j’ai tourné dès que ça a été possible. Mais en fait, j’ai tourné « Lui » comme j’avais imaginé tourner « Astérix » ! Jusqu’ici, je mettais en scène mes films comme on fait ses courses dans un supermarché : en remplissant mon caddie de plein de choses pour ne manquer de rien au moment du montage. Ça veut dire multiplier les axes en me couvrant au maximum, en choppant le plus de choses possibles chez mes comédiens.
Là, avec un film aussi énorme que celui-là, j’ai su que ce ne serait pas possible, ne serait-ce qu’en fonction du temps de tournage dont nous disposions et de la masse de choses à accomplir. J’ai donc fait storyboarder chaque séquence avec à chaque fois un choix assumé de tournage : gros plan, plan large, plan séquence, découpage très précis, etc. Pour « Lui », j’ai appliqué ce principe en tournant avec une seule caméra et j’ai adoré ça ! Certains jours, j’avais 4 plans à faire et c’est tout. Le cadreur me demandait parfois si je souhaitais faire un contre-champ et je refusais ! En faisant cela ensuite sur « Astérix », je suis en fait allé à l’économie, sans me retrouver à la fin avec une masse infinie d’images à monter. Je me suis concentré sur mon point de vue, mon intention, ce que je voulais raconter.
Un mot aussi de la musique du film que vous avez confiée à Matthieu Chedid, alias M…
J’avais très envie de retravailler avec Matthieu, quelques années après « Ne le dis à personne » qui avait été une expérience dingue. Mais cette fois, je voulais lui demander une vraie bande originale, avec un thème à la Cosma, des mélodies, un orchestre symphonique. Une fois de plus, Matthieu a surpassé mes attentes en m’offrant une musique extraordinaire et une expérience humaine fabuleuse. Je me souviens d’une séance de travail chez lui, à la campagne, où je lui parle d’un air sifflé, façon « La chèvre », en commençant à déjeuner. A un moment, il se lève, attrape une de ses nombreuses guitares et, (connaissant l’animal par cœur !), je prends mon téléphone, je me mets à le filmer et il me sort le thème dont nous avions parlé une heure auparavant ! Alors ensuite, Matthieu a découvert l’ampleur du travail car L’Empire du Milieu est un film très musical. Il n’avait pas tout à fait intégré le fait qu’il faudrait aussi faire des musiques d’accompagnement, qu’il me faudrait un thème pour les romains, un thème pour les gaulois, un autre pour les chinois… Mais il a bossé comme un fou avec un gars de son équipe qui s’appelle Brad Thomas Ackley, qui lui a fait un travail d’arrangeur incroyable.
On le disait, vous arrivez au terme d’une aventure de cinéma de quatre ans et le film va sortir en étant très attendu. Comment vous sentez-vous ?
Épuisé mais très heureux ! Je suis fier de ce film qui ressemble à celui dont je rêvais. Durant ces années de préparation, ces mois de tournage puis de post-production, je n’ai rien lâché en faisant de mon mieux. Et je n’ai qu’une envie vis-à-vis de Pathé et mes producteurs, (Alain Attal, Ardavan Safaee et Yohan Baiada), qui ont mis beaucoup d’argent dans ce projet : je voudrais qu’ils s’y retrouvent au final. Enfin, j’espère de tout cœur que les spectateurs vont prendre du plaisir à voir cet Astérix, qu’ils vont rire, s’amuser devant le film. Ça, ça me rendrait vraiment heureux.
Pathé, Domique Segall