INTERVIEW. « La Guerre des Lulus est un film de partage qui apporte son lot de rêves et de réflexions »

Image extraite du film "La Guerre des Lulus"
© Ricardo Vaz Palma - 2022 –SUPERPROD - WILD BUNCH - LES FILMS DU LEZARD - ELLE DRIVER - BIBIDUL PRODUCTIONS

Yann Samuell, le réalisateur de La Guerre des Boutons, nous dévoile les dessous de son dernier long métrage : La Guerre des Lulus. On vous dit tout sur ce film à la fois « tendre et brutal », à l’aube de la Première Guerre mondiale. Rencontre.

Dix ans après La Guerre des Boutons, vous réalisez un nouveau long métrage porté à l’écran par une bande de garçons. Pour vous, la candeur et la spontanéité des enfants sont-elles une force au cinéma ?

Je pense que la candeur et la spontanéité sont des moteurs essentiels du cinéma, qu’elle vienne des enfants ou des adultes. Dans toute histoire, un héros est nécessairement romantique, au sens premier du romantisme : à savoir faire passer une cause avant sa propre vie. C’est la définition même du héros (et du romantisme) il ne vit que pour accomplir sa mission et pour ce faire, quels meilleurs atouts que la candeur et la spontanéité ?

Ce qui me plaisait dans l’idée d’adapter cette bande dessinée, relevait de ces deux qualités : les enfants sont l’essence même de la résilience, ils peuvent traverser les pires épreuves, ils trouvent toujours l’inventivité de rebondir et rebâtir de l’espoir. J’aimais beaucoup l’idée de décrire des héros qui commencent avec rien. Les Lulus sont des orphelins : leur seule et unique possession est un prénom. Pas de nom de famille, pas de famille, même les vêtements qu’ils portent ne leur appartiennent pas. De ce fait, ils ne peuvent rien perdre, à part leur espoir. Et au moment où ils quittent l’orphelinat et qu’ils découvrent le monde, c’est la guerre, la destruction. Ils sont en pleine construction, alors que le monde est en pleine destruction. Ces deux courbes inversées entre les personnages et le monde ne pouvaient qu’être un puissant ressort cinématographique.

Image extraite du film "La Guerre des Lulus"
© Ricardo Vaz Palma – 2022 –SUPERPROD – WILD BUNCH – LES FILMS DU LEZARD – ELLE DRIVER – BIBIDUL PRODUCTIONS

Comment s’est déroulé le casting du film ?

Le casting des enfants est toujours un très long processus sur les films dont ils sont les héros et je commence à connaître ce domaine. Lorsque l’annonce du film est parue, nous avons reçu plus de 6 000 candidatures. Alors a commencé un travail de sélection, selon des critères d’âges, de ressemblance avec les personnages de la BD, puis est venu le temps des essais, d’abord en vidéo, etc. Nouvelle sélection. Puis les candidats ont été convoqués pour des séances d’improvisation et de travail des personnages en ma présence : c’était intense, on riait, on criait, on sautait, on courait dans tous les sens, on pleurait. Il fallait révéler en chacun l’inventivité et la capacité à rester ouvert et sincère en toutes circonstances, car sur les quatre mois de tournages, ces jeunes acteurs allaient devoir rester authentiques au milieu des bombes, des incendies, des cascades, de la fatigue ou face à une équipe de près de cent personnes.

Une fois cette étape passée, j’ai sélectionné ceux que je pensais être les plus proches des personnages, mais également ceux qui constituaient le mieux une fratrie. Cette notion de frères et sœurs de cœur était l’élément majeur. Et ça a fonctionné au-delà de mes espérances, aujourd’hui, un an après le tournage, ils continuent de se considérer comme des frères et des sœurs. C’est magique. Une fois mes Lulus et Octave choisis, a débuté un long travail de construction des personnages et d’apprentissages des valeurs et des attitudes d’une autre époque.

Pour ce qui est du casting adulte, j’ai pris soin au moment où j’écrivais les personnages de traiter chaque rôle, même de courte de durée, comme si j’écrivais un personnage principal : profondeur, contradictions, richesse et diversité, de manière à pouvoir le proposer à des acteurs de premier plan. Chaque rôle secondaire est aussi travaillé qu’un rôle principal, si bien que l’ensemble du casting adulte a accepté dès la première lecture. Ça s’est avéré beaucoup plus facile et rapide que le casting des enfants.

Image extraite du film "La Guerre des Lulus"
© Thibault Grabherr, Christine Tamalet -2022 – SUPERPROD – WILD BUNCH – LES FILMS DU LEZARD – ELLE DRIVER – BIBIDUL PRODUCTIONS

Raconter la guerre à travers le regard d’un enfant a-t-il été un défi difficile ?

Raconter toute histoire et à plus forte raison la guerre à travers le regard d’un enfant équivaut à marcher sur une corde raide : au moindre faux pas, c’est la chute. Souvent ce genre d’exercice est condescendant, factice ou mièvre. Je pars du principe que les enfants et les adultes sont les mêmes personnes, chacune à un endroit différent de leur parcours, mais au bout du compte c’est le même parcours. Je me refuse à prendre les enfants pour des êtres fragiles à protéger : ils sont bien plus forts et résistants qu’on ne les imagine et surtout, ils détestent qu’on les prenne pour des enfants. Ce film se raconte tel un conte, mais non pas un conte de dessin animé où tout est mignon et gentil : je parle des contes avec leur valeur initiatique, tel que Bettelheim l’a démontré dans la psychanalyse des contes de fées. La force des contes est d’être éducatifs et de ce fait cruels lorsqu’il le faut, moraux lorsqu’ils le doivent. La Guerre des Lulus est à la fois tendre et brutale et lors des quelques centaines de projections en avant-première, les enfants adorent et m’en remercient.

Les décors sont impressionnants et occupent une place importante. Comment ont-ils été imaginés et élaborés ?

La question des décors était centrale et englobait la totalité du rendu visuel du film. J’ai fait travailler ensemble les équipes conception et construction des décors, les équipes design et réalisation des costumes, les équipes images et lumière, les équipes maquillage et coiffure, mais également les équipes pyrotechniques et effets spéciaux, dès le début de la préparation. Je voulais une œuvre globale où tout irait dans la même direction. Cela a demandé un gros travail de recherche historique et iconographique. On s’est beaucoup inspiré des autochromes (les premières photographies couleurs de l’époque) où les couleurs ont un rendu particulier. L’ensemble du film est contenu dans une charte de couleur qui va du bleu profond à l’or : Le bleu représentant l’anonymat, l’orphelinat, l’encre de l’école, etc. Mais au fur et à mesure du film l’or prend le dessus : l’or représente la découverte, l’aventure, les feux de la guerre, l’accomplissement. Tout a été travaillé, dans les textures et les rendus pour s’inscrire dans ce parcours : jusqu’à la texture des explosions et des fumées.

Une fois cette direction artistique donnée, il ne restait plus qu’à bâtir cet univers. Ce qui reste un travail incroyable qui a commencé plusieurs mois avant le début du tournage (dans le cas des décors et des costumes). Le village bombardé ou le champ de bataille sont des exemples très parlants de l’ampleur de ces constructions. Mais nous avons également fait appel à beaucoup de décors naturels qui nous ont demandés de longues semaines de recherche afin de trouver exactement ce qui cadrait avec l’esthétique du film : l’abbaye, l’incroyable familistère, mais également les décors de forêts et de rivières.

Image extraite du film "La Guerre des Lulus"
© Ricardo Vaz Palma – 2022 –SUPERPROD – WILD BUNCH – LES FILMS DU LEZARD – ELLE DRIVER – BIBIDUL PRODUCTIONS

Vous avez été en relation constante avec Régis Hautière, le scénariste de la BD La Guerre des Lulus. Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Avant même de commencer le travail d’adaptation, j’ai contacté les deux auteurs de la BD et je leur ai parlé de ma vision de leur œuvre : que je ne comptais pas tricher avec les émotions, avec la dureté de l’époque, l’humour et l’aventure que je comptais y mettre. Ils m’ont dit que c’est exactement ce qu’ils espéraient et m’ont donné carte blanche. À chaque étape du scénario je leur ai envoyé mon travail. Lorsque je rajoutais des personnages (ceux d’Isabelle Carré ou d’Ahmed Sylla) ou que je concevais des situations qui n’apparaissent pas dans la BD (les 15 premières minutes du film, le champ de bataille, etc.) je les en informais. Ensuite, sur le tournage, ils étaient les bienvenus et d’ailleurs on les voyait tout le temps. Ils ont engrangé plusieurs milliers de photos, un véritable making-of. C’est une formidable rencontre basée sur le respect et la confiance mutuelle.

L’arrivée de la guerre est explosive avec le bombardement de l’abbaye tandis que la séquence du front est bouleversante. Ces scènes permettent-elles d’insister sur la transition entre l’innocence de l’enfance et à la brutalité du monde d’adulte ?

Je voulais que la guerre soit traitée comme un personnage et non pas un contexte. Pour en revenir à la notion de conte, disons que la guerre est représentée telle un ogre qui est sur les talons des enfants. La texture des explosions en est une parfaite illustration : dans la plupart des films d’action, les explosions sont des boules de feu impersonnelles. Pour ma part, j’ai voulu que ce soit des jaillissements d’obscurité tels des géants d’ombre qui se dressent et dévorent le monde. Les scènes de guerre sont des étapes marquantes pour les personnages : Ils en sortent grandis et encore plus unis.

Image extraite du film "La Guerre des Lulus"
© Thibault Grabherr, Christine Tamalet -2022 – SUPERPROD – WILD BUNCH – LES FILMS DU LEZARD – ELLE DRIVER – BIBIDUL PRODUCTIONS

La Guerre des Lulus bouscule les préjugés, notamment sur les filles. Pourquoi était-il important pour vous de transmettre ces valeurs aux enfants ?

Ce film est une invitation à remettre en question les préjugés : sur la notion d’ennemi, la notion d’étranger, la notion de danger, de famille, et bien sûr la place des femmes. Les trois personnages féminins se retrouvent catapultés dans des responsabilités et des fonctions auxquelles elles n’auraient jamais eu accès en temps normal : Luce (interprétée par Paloma Lebeaut) devient la grande sœur de quatre enfants ; Louison (Isabelle Carré) se retrouve en charge d’un village et Madame Béraut (Emmanuelle Grönvold) est intronisée chirurgienne en charge des blessés de guerre. C’est une réalité historique passée trop souvent sous silence. La place des femmes a fait un bond en avant en 1914, elles se sont retrouvées en charge de faire tourner la société qui jusqu’à lors était réservée aux hommes.

Le même constat peut être fait avec le personnage de Moussa (Ahmed Sylla) : C’est la première fois dans l’histoire qu’on fait venir des gens d’Afrique et qu’ils sont sur un pied d’égalité avec les français de souche. Idem avec les innombrables épisodes de fraternisation entre allemands et français qui ont constellé cette guerre : et ce fait est incarné par le personnage de Hans (Luc Schiltz). Toutes les valeurs et les certitudes se trouvent remises en cause, bousculées et malmenées, même les personnages les plus engagés, tel l’instituteur (Alex Lutz) en arrive à douter du bien fondé de la tolérance. Seuls les enfants ne doutent jamais des valeurs positives et ont s’accrochent à leur bienveillance. 

Un mot pour la fin ?

La Guerre des Lulus est un vrai film de cinéma. Un film de partage qui apporte son lot de rêves et de réflexions. J’ai reçu une foule de remerciements et de retours positifs lors des projections, je n’en citerai qu’un qui m’a beaucoup touché. Un spectateur m’a dit : « Je n’ai qu’un regret, avoir déjà vu le film. Je ne pourrai plus jamais le découvrir pour la première fois. »

LA GUERRE DES LULUS est à découvrir au cinéma à partir du 18 janvier 2023.

Partager l’article

Articles similaires

Cinéma, L'actualité des films

Sortie cinéma du 28 Juin 2023 : quels films voir avec vos enfants ? – Focus sur « Les Vengeances de Maître Poutifard »

Quelles sont les nouveautés à découvrir cette semaine dans les salles obscures ? Le retour de Christian Clavier sur grand écran : « Les vengeances de maître Poutifard ». Voici la sortie cinéma du mercredi 28 Juin 2023. Les vengeances de maître Poutifard – 10 ans Sortie cinéma du 28 Juin 2023 : Instituteur à la retraite, […]
Lire la suite